Antoine Stähli Cardaci

Antoine Stähli Cardaci

Antoine Stahli Cardaci 2021, Christie's. Photo: © Carlos Gustavo
Pourquoi j’aborde toujours le processus créatif par un geste soustractif

Au fond, je n’en sais rien ou peut-être n’ai-je pas envie de le savoir.

Je pourrais retourner loin dans mon enfance, mais je ne souhaite pas m’étaler sur cette partie inconsciente de ce qui m’a forgé en tant qu’individu, ce qui m’intéresse est de pouvoir en faire une force créative.

Il y a des gestes qui marquent, notamment celui de R. Rauschenberg quand il efface un dessin de W. de Kooning en 1953 «Erased de Kooning».

Mise à part la prise de position du jeune artiste qu’était alors R. Rauschenberg c’est cette mise en évidence de l’éternel recommencement qui m’interroge, une action fondée sur la suppression des marques, ce qui reste est « art ». Sans agressivité aucune, car nous savons que R. Rauschenberg admirait W.de Kooning et que celui-ci, lui avait donné un dessin difficile à effacer.

Ce geste m’a toujours fasciné, il met en évidence que rien n’est acquis, chaque chose a son temps d’existence puis une autre possibilité s’offre dans un contexte contemporain, lié à son temps, à son époque. La nature est ainsi, l’homme peut construire des routes s’il ne les entretient pas les racines les traverseront, c’est simple c’est immuable. Il s’agit aussi d’un geste politique fort, qui impose un renouveau.

J’admire les artistes qui travaillent proprement, qui déposent de la matière à peindre ou d’autres matériaux qui servent à élaborer ou à rendre visible une forme.

Personnellement je n’y arrive pas, il y a bien une intention de réaliser quelque chose mais une des étapes du processus créatif sera d’enlever ou d’effacer. En fait je crois que je sculpte la peinture.

Quand j’aborde une matière, je me demande toujours comment elle pourrait se transformer, comment la voir autrement, quelle est sa résistance, si elle a la faculté d’exister autrement que pour ce pourquoi elle a été conçue.

Je tente de laisser l’essentiel.

Le processus de transformation du magazine ou du catalogue d’art

Cette démarche m’intéresse car elle n’est pas fondée sur une action simple, c’est-à-dire déchirer un magazine d’art pour le détruire mais au contraire pour lui donner un sens qui lui échappe, transformer son message en quelque chose de matériel et de palpable. Il nous informe sur ce qui se passe dans le monde de l’art et son histoire, il m’arrive de passer du temps à le feuilleter. Je l’observe et constate l’épaisseur, sa qualité, il m’arrive de tomber sur un article passionnant, il peut être en papier glacé ou plus simple, les sujets sont souvent les mêmes, des portraits récurrents d’artistes, ceux dont on parle toujours, ça nous rassure, une forme de stabilité et d’autre plus subversifs qui osent parler de ce qui arrive, ce qui n’est pas encore reconnu. Les photos sont en couleurs ou non, les textes sont souvent écrits par des historien.nes de l’art, d’autres par des journalistes ou des critiques cultivés.e.s. Tous les magazines ont un point commun, ils véhiculent des discours sur le monde de l’art, ce qu’il y a de plus beau ou de plus banal, sans omettre l’aspect mercantile, omniprésent et pas seulement pour les catalogues de vente. Ils servent de tremplin, autant pour ceux qui participent au contenu, que pour ceux qui en sont les sujets. Je ne suis pas polémiste et je me fous souvent du contenu, je pense déjà à ce qu’ils vont devenir. Ils seront bien plus captivants et mystérieux après être passés entre mes mains.

Mon action est simple, je les transforme, ils deviennent intemporels et sont ramenés au point zéro, tous égaux, l’objet qui véhicule l’art et ses histoires devient une feuille de papier, une mise en abyme en quelque sorte. Je me sens inclus dans leur discours, dans le monde de l’art, je m’approprie l’objet, son contenu, je décide d’en faire partie. Le magazine ou la revue d’art devient «œuvre d’art».

Je suis tous les styles, toutes les époques, je suis international, il ne reste que moi.

Le magazine peut être répertorié ou classé, il y a toujours un numéro, une date. Je conserve la première page avec le logo, une forme de respect ou un moyen de justifier que l’objet que vous tenez entre vos mains est bien le magazine «Artnews octobre 1994 Num 8».

Antoine Stähli Cardaci – Photo: © Carlos Gustavo
Composition sur magazines d’art

Le processus de transformation est une partie importante mais le geste final, celui qui m’inclus et transforme symboliquement le magazine d’art en «œuvre d’art», l’est tout autant.

Partant du principe que je ramène l’objet à une feuille de papier, prête à recevoir une nouvelle composition. L’intervention finale est paradoxalement l’application d’une peinture en plusieurs couches, cela devient un monochrome, en fonction de la forme je peux recouvrir toute la surface ou laisser la matière papier apparente.

Je prends tout ce que le magazine m’apporte et les mots en font partie. C’est en conservant les premières pages avec le logo que l’idée m’est venue de sélectionner et d’intégrer quelques mots clés. Ils résument l’univers du monde de l’art. Pour moi, ils forment un langage poétique, je n’invente rien, je prends les mots mis en évidence.  Un mot suffit pour recouvrir une surface comme je l’ai fait avec les catalogues de vente de Christie’s ou Sotheby’s le logo est déstructuré et répartit sur la surface.

Antoine Stähli Cardaci – Photo: © Carlos Gustavo